Economie

Professeur Abdoulaye Sakho : “Rendre le sport africain attractif pour attirer les investisseurs”

Pour le professeur Abdoulaye Sakho, spécialiste en droit du sport, le marché du sport a d’énormes potentialités pour se développer. Mais avant cela, il faudrait d’abord que le sport africain soit plus attractif. S’agissant du droit du sport en Afrique, il évolue positivement sur le plan de la formation, mais doit encore gagner en autonomie. Interview.

Comment se porte le business du sport en Afrique ?
Il y a un très fort potentiel en Afrique, parce que nous avons tous les prémices d’un marché. Tout d’abord, il y a un produit, à savoir le sport, ensuite nous avons les acteurs, à savoir les pratiquants, viennent ensuite les gouvernants du sport et les consommateurs du sport que sont les fans. Ces derniers sont prêts à faire ce qu’il faut. Je citerais également les investisseurs dans ce marché du sport, que sont les chaînes de télévision, sans parler de nouveaux acteurs qui se distinguent de plus en plus, à savoir les fonds de passion et les fonds d’investissement qui ciblent de plus en plus le marché africain. Donc, comme vous le voyez, le potentiel est là. Mais, malheureusement, on a du mal à décoller. Cela dit, il faut signaler qu’on ne peut pas aujourd’hui prendre toute l’Afrique comme un tout. Il y a des sports et des Afriques. Le sport au Maghreb n’a absolument rien à voir avec le sport en Afrique subsaharienne. Le sport en Afrique australe peut être différent de celui d’autres zones continentales, donc il faut savoir faire la différence.

Est-ce que le secteur sportif est rentable en Afrique, sachant toutefois que ce n’est pas le même niveau de rentabilité qu’ailleurs ?
Comme je le disais auparavant, cela dépend de la zone géographique et du sport. En Afrique du Sud, par exemple, le rugby peut être considéré comme un sport rentable. Le spectacle offert par l’Afrique du Sud dans cette discipline incite les investisseurs à s’y intéresser et à faire ce qu’il faut comme investissements et de permettre à des gens de vivre de ce sport. Si nous prenons l’exemple du football en Afrique subsaharienne dans sa globalité, on ne peut pas dire qu’il est rentable. Ce sport est encore entre les mains de l’Etat, il y a encore des balbutiements sur le plan professionnel. Et même ceux qui exercent dans le milieu professionnel sont obligés de faire appel à l’Etat afin d’avoir un coup de pouce dans un premier temps. C’est donc très difficile de pouvoir répondre de façon globale à cette question. Je peux toutefois dire que le sport peut être rentable en Afrique, mais à condition de faire ce qu’il faut pour le développer, lui donner du spectacle et de l’attractivité, afin que les différentes catégories d’investisseurs misent dessus.

Comment rendre ce sport plus rentable dans le contexte que nous vivons actuellement ?
Il faut le rendre attractif ! La rentabilité dépend de la possibilité que vous avez d’attirer ceux qui ont les moyens d’y investir. Et ces investisseurs sont, en premier lieu, les spectateurs. Soit en présentiel, soit par l’intermédiaire des chaînes de télévision. Cela est fondamental. Quand je prends l’exemple de l’Afrique subsaharienne, je ne suis pas sûr qu’il y ait beaucoup de spectateurs qui se déplacent pour aller voir les matchs de championnat comme cela se faisait dans les années 70-80. Aujourd’hui, on a une forte concurrence, du fait de la mondialisation des compétitions européennes et américaines. Cela fait en sorte que les manifestations sportives en Afrique sont reléguées au second plan. Le public préfère voir un match de foot Barça-Real un samedi matin que de se déplacer dans un stade proche pour assister à un match de championnat du Sénégal par exemple, et dans lequel il n’y a pas de spectacle. D’ailleurs, ce manque de spectacle s’explique par le fait que la plupart des meilleurs talents sont partis ailleurs. Le spectacle que l’on nous offre est médiocre. Conséquence, ni l’investisseur médiatique (la télévision), ni financier ne s’y intéresse.

Concrètement, quelle démarche faut-il adopter pour améliorer la rentabilité et l’attractivité du sport sur le continent ?
Rendre rentable le sport revient à le considérer comme une activité économique comme dans les autres secteurs comme les infrastructures. Les bailleurs de fonds ont beaucoup d’intérêt pour tout ce qui concerne les infrastructures, les ressources pétrolières, etc. Ils les considèrent comme des ressources économiques majeures. Or le sport a atteint des dimensions d’un secteur économique majeur et sur lequel on devrait se pencher davantage. En réalité, il offre plus rapidement des emplois que dans les autres secteurs. Nous y travaillons depuis très longtemps, et nous espérons y arriver progressivement.

Comment évolue le droit du sport sur le continent ?
Le droit du sport en Afrique est en train de se poser progressivement. Aussi bien du point de vue de son application par les organismes de gouvernance (CAF, fédérations nationales, etc.) que de l’enseignement. Personnellement, depuis quelques années, j’organise des formations de très haut niveau par le biais de l’Université, et nous retrouvons des Africains qui se retrouvent par la suite dans des instances très prestigieuses de décisions de gouvernance ou de pratique sportive. Donc, sur ce plan-là, le droit du sport est en train de s’imposer. Ce qui est par contre dommage et sur lequel les Africains tardent encore à accorder une priorité, c’est le règlement des litiges. Je trouve scandaleux que le Tribunal arbitral du sport (TAS) a toujours son siège dans des pays européens (Zurich, ndlr), et qui est sollicité pour des problèmes qui opposent deux entités africaines par exemple. Il faudrait, soit qu’on mette des bureaux décentralisés du TAS, soit que les Africains créent eux-mêmes leurs propres organes de règlement de litiges. Et sur ce plan, rien ne l’interdit, pas la FIFA en tout cas. Il est temps qu’il y ait un tribunal arbitral du sport par exemple à Dakar ou à Rabat, ou au moins un tribunal pour l’Afrique et qui se trouve en Afrique !

Abdellah Benahmed / Les Inspirations ÉCO


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