Mustapha Azeroual: « le malentendu est à la source de l’art »
Le photographe franco-marocain expose, pour la première fois, ses travaux photographiques à la Galerie CulturesInterface de Casablanca. Intitulée « Archéologie de la lumière », l’exposition permet au visiteur de s’interroger sur les limites de ses perceptions. Une expérience palpitante pour qui prend le temps d’approfondir son regard.
Par Olivier Rachet
Il faut imaginer Mustapha Azeroual parcourant les paysages du Haut-Atlas, à dos de mulet afin de capter, avec son appareil de prise de vues, les différentes faces d’une montagne. La nuit venue, le photographe scrute le ciel étoilé et s’apprête à enregistrer ce qu’aucun regard ne peut entièrement percevoir : la source même de la lumière. Partant du postulat que « ce qui rend visible ne peut être visible », celui qui a commencé par étudier l’ingénierie mécanique et continue de se passionner pour la physique quantique explore la matérialité de la lumière. Le projet peut paraître un peu fou et générer des interprétations maladroites. Mais face à la réception de son œuvre, l’artiste répond, avec une certaine clairvoyance, que « le malentendu est à la source de l’art ». On songe souvent à la démarche, si incomprise en leur temps, des peintres impressionnistes. Partis peindre sur le motif, les intéressait moins le caractère référentiel du paysage que les mouvements de la lumière, à eux seuls capables de métamorphoser nos perceptions rétiniennes.
Une approche déconstructionniste de la photo
Pour qui veut essayer de cerner la démarche analytique de Mustapha Azeroual, on conseillera de commencer par fermer les yeux puis de se départir d’une conception réaliste de la photographie. Le flux incessant d’images instantanées dont on a la présomption de penser qu’elles constituent une reproduction fidèle du monde qui nous entoure constitue sans doute notre plus dangereux ennemi. Les spectateurs voraces et aveuglés que nous sommes devenus ne s’interrogent plus sur les conditions rendant possibles le développement d’une image photographique. A l’inverse, ce n’est pas la capacité de reproduction de la photo qui intéresse l’artiste mais bien plutôt « sa capacité de dévoilement ».
Pour ce faire il renoue avec des procédés de tirage utilisés au début de l’ère photographique. Le procédé à la gomme bichromatée, apparu au milieu du 19e siècle, a notamment les faveurs de celui qui pourrait reprendre à son compte la revendication du peintre de la Renaissance, Le Corrège, en admiration devant une toile de Raphaël : « Et moi aussi je suis peintre ! » On l’imagine ainsi dans son atelier, élaborant un protocole d’une grande rigueur consistant à enduire une feuille de papier d’une couche de gomme arabique accompagnée d’autres pigments. Après séchage, la feuille sera recouverte par le négatif. Ce procédé d’une extrême méticulosité permet de produire des images uniques, non reproductibles, dans lesquelles s’impriment les traces diffuses de la lumière.
La série « Ellios », anagramme du soleil, désignant aussi en grec ancien le dieu du soleil, tout comme la série intitulée « Radiance » constituée de plusieurs images d’une aurore boréale, sont le fruit de ces expérimentations dont la conceptualisation n’enlève rien à l’effet d’émerveillement qu’elles suscitent. On croit assister à la naissance du jour, à l’origine de phénomènes cosmiques dont on entend résonner le souffle moteur. On songe étrangement à la peinture calligraphique chinoise dans laquelle l’alternance des traits permet d’esquisser la polarité même du monde sensible. Le questionnement de Mustapha Azeroual a de multiples résonances philosophiques, notamment lorsque celui-ci affirme que « ce qu’il y a au-delà du visible, c’est le sensible. »
La perception impossible
Il y a aussi en Mustapha Azeroual quelque chose de l’apprenti-sorcier. Si l’on ne peut regarder le soleil en face, si la lumière aveugle autant qu’elle éclaire, il va s’agir aussi d’expérimenter les limites de la perception. A cet effet, l’artiste a recours à ce qu’il définit, dans un entretien accordé à la critique d’art Marie Moignard, comme « un inventaire de l’éblouissement ». Au support photographique succède alors le médium vidéo permettant d’enregistrer des flashs lumineux. Intitulé « Ellios / contact aveugle », un travail ouvrant l’exposition a consisté à enregistrer, comme le précise le catalogue, « l’aveuglement progressif d’un capteur de caméra par l’action de la lumière, jusqu’à sa destruction. » Le résultat est désarmant et rappelle les premiers films expérimentaux dadaïstes dans lesquels il s’agissait de remonter à l’origine même de nos images mentales.
Mais on invitera, pour finir, le visiteur à visionner une autre vidéo étonnante de l’exposition dont le projet est d’interroger la nature de nos perceptions. Intitulée « Prés(a)nce # 1 », celle-ci se décompose en deux parties constituées, chacune, d’un même plan fixe où l’on assiste, devant un cours d’eau, à un coucher de soleil. Le montage inversé auquel a recours Azeroual permet ainsi un glissement des images. On se surprend ainsi à voir le plan surexposé à la lumière passé de gauche à droite sans y avoir pris garde. S’il s’agit, au départ, de capter ce moment idéal où les deux perceptions se rejoindraient, le spectateur sort déconcerté de cette expérience visuelle, en se demandant quelles autres transformations silencieuses sont à l’œuvre dans le visible. Voyons-nous vraiment ce que nous voyons ? La question reste vertigineuse !
Exposition « Archéologie de la lumière » de Mustapha Azeroual, Galerie d’art CulturesInterface, du 10 mars au 1e avril 2017, 12 rue El Jihani, Casablanca.