Economie

Chaînes d’approvisionnement: les secteurs impactés, quels risques pour le Maroc ?

Les chaînes d’approvisionnement mondiales ont, depuis toujours, fait l’objet de ruptures plus ou moins complexes et longues qui dépendent de différents facteurs extérieurs qui ne sont pas toujours maîtrisables ou maîtrisés.

Dans une interview à la MAP, Mustapha Bennani, expert consultant en Business Development strategy, revient sur les perturbations que connaissent actuellement ces chaînes, les facteurs explicatifs ainsi que sur les risques et opportunités qu’elles pourraient représenter pour le Maroc.

– Combien de temps les perturbations des chaînes d’approvisionnement pourraient-elles durer ?

Les perturbations des chaînes d’approvisionnement (CAM) sont un phénomène cyclique que nous pouvons retracer tout le long de l’histoire des échanges et du Commerce International avec lequel il y a une forte corrélation, et nous pouvons noter que chaque fois qu’il y a eu un grand événement d’envergure mondiale (guerre,catastrophe naturelle, crise économique…), nous retrouvons des perturbations au niveau des CAM.

La phase de reprise économique mondiale dans laquelle nous sommes actuellement fait et va continuer à faire que les perturbations des CAM vont aller decrescendo et qu’un retour à la « normale » pourrait être envisageable aux horizons 2023-2024, car il est vrai que le trend économique est haussier, mais il est vrai aussi qu’il est en dents de scie et que de tout petits événements peuvent venir perturber à plus ou moins forte ampleur les CAM, et vu que la situation mondiale est toujours « tendue », nous aurons toujours sur le court terme des perturbations (jusqu’à fin 2022 – mi 2023).

La carte économique mondiale étant toujours en pleine restructuration, il est difficile de prédire avec exactitude la fin de ces perturbations, et ces estimations peuvent à tout moment changer tant les enjeux économiques et politiques internationaux sont colossaux et interdépendants.

– Quels sont les facteurs derrière ces perturbations ?

Plusieurs facteurs sont à l’origine des perturbations des CAM, et de manière générale. Nous pouvons les classifier en 3 grandes parties: les catastrophes naturelles, les causes anthropiques (d’origine humaine) et les causes économiques.

Ainsi quand nous parlons de catastrophes naturelles il s’agit principalement de raz-de-marée, tremblement de terre, cyclones et ouragans…qui ont chamboulé tout ou partie d’un écosystème et d’une économie. Les causes d’origines humaines sont celles tel que les interruptions de travail (grèves…), les arrêts de production, les cyberattaques…etc, et parmi les causes économiques nous pouvons citer les différends commerciaux, les barrières douanières et mesures protectionnistes…etc.

Le contexte pandémique dans lequel nous sommes toujours et les tensions géopolitiques (guerre d’Ukraine par exemple) sont aussi causes de perturbations des CAM ceci d’une part, et d’autre part et en fonction des secteurs, les CAM peuvent être très dispersées géographiquement et avoir plusieurs fournisseurs locaux et régionaux avec tous les aléas que cela induit ; de plus, comme les CAM manquent parfois de transparence, il est très difficile voire quasi-impossible de détecter là où « ça coince » et donc de résoudre le problème.

Il ne faut pas oublier non plus une inadéquation entre l’offre et la demande très forte avec la reprise ; la demande est supérieure à l’offre et les coûts s’envolent (matières premières, stocks…). Les entreprises ont des difficultés à expédier leurs marchandises vu la pénurie du transport maritime, la congestion et arrêts des activités portuaires (contexte pandémique), l’augmentation des distances parcourues etc… et tout cela contribue à la hausse des frais d’expédition et donc des coûts finaux, ce qui impacte très significativement les CAM.

Il faut bien sûr rajouter à tout cela les évènements à faible incidence mais à fréquence élevée, qui constituent non seulement la majeure partie des facteurs pouvant perturber une chaîne d’approvisionnement, mais auxquels l’on devrait accorder autant d’attention que les événements perturbateurs à grande échelle qui causent des dommages importants.

– Quels sont les secteurs impactés et ceux qui en ont tiré profit ?

Beaucoup de secteurs ont été impactés, certains positivement, d’autres négativement. Alors que des secteurs comme l’Automobile et la construction souffrent des perturbations des CAM, d’autres comme les semi-conducteurs prospèrent.

Les secteurs les plus touchés par ces perturbations sont ceux des matériaux (plastique, bois), du transport, de l’équipement électrique, de l’automobile.

Dans la production de biens, rares sont les secteurs qui en ont tiré profit mais on peut citer celui des semi-conducteurs ; par contre dans la production des services, la plupart des secteurs ont pu tirer leur épingle du jeu en jouant la carte de la délocalisation (ceux qui ont pu le faire dans la production de biens aussi).

Ces perturbations ont profité aussi aux secteurs dont les CAM sont essentiellement régionales ou locales (CAM courtes) malgré l’impact des perturbations sur les coûts, les facteurs externes restent mieux maîtrisables.

– Quelles sont les opportunités et/ou risques pour le Maroc ? Comment devra-t-il agir ?

Les chaînes d’approvisionnement mondiales sont devenues une manière courante d’organiser les investissements, la production et le commerce dans l’économie internationale. Dans beaucoup de pays, et en particulier dans les pays en développement, elles ont créé des richesses et des emplois.

Les grands projets internationaux ainsi que les divers plans de relance, ainsi qu’une demande grandissante viendront compenser les risques liés aux perturbations des CAM ; l’instauration de chaînes d’approvisionnement régionales et le développement des capacités de production régionales vont drainer des investissements importants dans des secteurs tels que la technologie et l’automatisation, et d’autres secteurs comme le commerce de détail, l’automobile ou l’aérospatial (pour ne citer qu’eux) pourraient se restructurer et amener une réaffectation du capital et des moyens humains.

Pour le Maroc cela représente de grandes opportunités de développement socio-économique et culturel d’une part, et de devenir d’autre part un acteur de premier ordre dans les Chaînes d’Approvisionnement Régionales et Mondiales dans la mesure où :

– De par sa position géostratégique, notre pays reste un point central dans les axes de développement et de coopération Nord-Sud (Europe-Afrique) et Est-Ouest (Amériques- zones MENA et EMEA), donc zone de passage et de transition à Valeur Ajoutée pour toutes chaînes d’approvisionnement opérant dans ces axes.

– Les ouvertures du pays vers l’international sont partie intégrante de la Politique de Développement Économique marocaine et elle présente de nombreux et multiples avantages pour les investisseurs à fort potentiel.

– Les atouts, ressources et compétences dont dispose le Maroc sont à même de répondre aux exigences les plus pointues, tant sur le plan structurel qu’organnisationnel, pour développer des unités majeures dans les CAM et les chaînes d’approvisionnement régionales.

– L’expérience cumulée de notre pays tant sur des projets d’envergure nationale, continentale qu’internationale lui confère la légitimité de prétendre à une telle position sur le plan régional et international.

– Ajouté à tout cela, la stabilité politique dont jouit le Royaume du Maroc, la zone géographique non conflictuelle dans laquelle il se trouve, le climat tempéré dont il bénéficie et le fort potentiel de développement de ses régions, sont autant d’opportunités que nous nous devons de saisir pour donner au pays le niveau international qui lui revient et qu’il mérite.

Pour parler des risques qu’il pourrait éventuellement y avoir, ils seraient minimes et calculés, si nous restreignons notre dépendance à l’essor à des facteurs maîtrisables, et que tout projet soit minutieusement examiné avant exécution et passage au plan d’action ; il y aura toujours des réajustements à faire en cours de route mais ceux-ci auront déjà fait l’objet d’hypothèses et de leur(s) solution(s), de sorte qu’il n’y aurait quasiment plus de place pour l’imprévu sauf cas de force majeure.

Pour arriver à atteindre cet objectif, il faudrait agir à différents niveaux dans le cadre d’un plan initial qui engloberait divers points, à savoir renforcer les infrastructures dans les collectivités territoriales, favoriser et prioriser le développement dans les régions éloignées des grands centres, initier des rencontres régionales transfrontalières pour développer une coopération durable et mettre en place des processus solides et fiables entre les acteurs étatiques et ceux du privé quelle que soit l’importance de ces derniers.

Il s’agit aussi d’amorcer et établir des liens et des contacts avec toute entité répondant aux critères requis pour un partenariat (sur toutes les échelles), se positionner en leader et partenaire incontournable, réajuster la politique de développement international (et national) aux réalités imposées par le contexte actuel et aux objectifs fixés et renouveler les accords bilatéraux et multilatéraux caduques et désuets s’il y en a.


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