Etats-Unis: onde de choc après la fuite d’un document prévoyant la suppression du droit à l’avortement
La fuite d’un document interne de la Cour suprême américaine prévoyant la suppression du droit constitutionnel à l’avortement a eu l’effet d’un véritable séisme à Washington dont l’onde de choc a été ressentie à travers le pays.
Rédigé par le juge Samuel Alito, l’avant-projet de la décision majoritaire de la plus haute juridiction des Etats-Unis, révélé lundi soir, représente une révocation sans appel de l’arrêt dit « Roe v. Wade » de 1973, qui garantissait les protections fédérales du droit à l’avortement, ainsi que de « Planned Parenthood v. Casey », une décision ultérieure de 1992 qui a largement maintenu ce droit.
« Roe était manifestement infondé dès le début », écrit Alito dans cette proposition de texte diffusée en premier par le média « Politico », ajoutant que « Roe et Casey doivent être annulés ».
Le droit des femmes à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) « n’est protégé par aucune disposition de la Constitution », a poursuivi le juge dans le document intitulé « Opinion de la Cour » dont l’authenticité a été confirmée mardi par la Cour elle-même, soulignant qu’ »il est temps de tenir compte de la Constitution et de rendre la question de l’avortement aux représentants élus du peuple ».
Par ailleurs, le chef de la Cour, le juge John Roberts, a annoncé mardi avoir « ordonné une enquête » pour identifier l’origine de la fuite de cet avant-projet, qui doit encore faire l’objet de négociations jusqu’à sa publication avant le 30 juin prochain.
Alors même que la Cour suprême semblait prête à revenir sur cet arrêt historique, le président Joe Biden a, quant à lui, appelé mardi le Congrès à adopter une législation codifiant le droit à l’avortement établi par Roe v. Wade.
« Si la Cour invalide l’arrêt Roe, il incombera aux élus de notre pays, à tous les niveaux de gouvernement, de protéger le droit des femmes à choisir », a indiqué Biden dans un communiqué, ajoutant qu’ »il incombera aux électeurs d’élire des représentants pro-choix en novembre prochain ».
« Au niveau fédéral, nous aurons besoin d’un plus grand nombre de sénateurs pro-choix et d’une majorité pro-choix à la Chambre pour adopter une législation qui codifie Roe, que je m’efforcerai de faire passer et de signer en tant que loi », a-t-il noté.
Biden, a également relevé que l’argumentaire de la Cour suprême américaine dans ce projet de décision très défavorable au droit à l’avortement allait « bien au-delà » de l’IVG et remettait potentiellement en cause « toute une série » d’autres droits.
L’avant-projet de la Cour suprême renversant l’arrêt Roe v. Wade a suscité des réactions contradictoires à l’image des divisions profondes sur ce sujet et bien d’autres au sein de la société américaine. Devant le Capitole, plusieurs Américains se sont rassemblés pour exprimer leur colère et consternation auprès de leurs élus.
Les démocrates ont déclaré dès mardi matin condamner vigoureusement la décision de la Cour suprême et ont évoqué des stratégies à même de préserver l’accès à l’avortement. Ils ont également promis de redoubler d’efforts pour faire passer une législation visant à inscrire les protections de Roe v. Wade dans la loi, et éliminer le flibuster législatif, qui nécessite 60 voix au Sénat pour qu’un projet de loi puisse avancer. Toutefois, dans un Sénat divisé en parts égales, où les républicains et un démocrate conservateur, à savoir le sénateur Joe Manchin, ont déjà voté contre l’adoption d’une législation garantissant le droit à l’avortement, peu de voies législatives semblent viables.
De leur côté, les républicains ont condamné cette fuite sans précédent, qu’ils ont qualifiée de tentative « d’intimider les juges sur l’avortement ». L’impact immédiat de la décision, telle qu’elle a été rédigée en février, serait de mettre fin à une garantie d’un demi-siècle de protection constitutionnelle fédérale du droit à l’avortement et statuerait en faveur du Mississippi dans cette affaire très suivie concernant la tentative de cet Etat d’interdire la plupart des avortements après 15 semaines de grossesse.
Compte tenu des divisions géographiques et politiques évidentes sur la question de l’IVG, une moitié des Etats américains, particulièrement dans le sud et le centre conservateurs, devrait rapidement bannir la procédure sur leur sol.
Dans l’histoire moderne de la Cour suprême américaine, aucun avant-projet n’a été divulgué publiquement alors qu’une affaire était encore en cours de négociation. Cette révélation semble intensifier le débat autour d’un sujet qui faisait déjà couler beaucoup d’encre et galvaniser l’électorat libéral à l’approche des élections de mi-mandat où les démocrates étaient, jusque-là, annoncés comme grands-perdants.