Que vaut vraiment le sondage de Tizi-Averty?
par Hicham Bennani
Depuis l’annonce de ses résultats, un récent sondage attire tous les commentaires et les traitements possibles, sauf un : sa crédibilité.
Repris en période de silence politique pré-électoral, par un très grand nombre de médias pourtant très crédibles et respectables, ce sondage attribue la personnalité préférée des Marocains au poste de chef de gouvernement, loin devant, à Abdelilah Benkirane. Il est suivi d’Ilyas El Omari. Et puis surprise, Nabila Mounib arrive en troisième position.
A titre d’élément d’appréciation, l’Istiqlal, en deuxième position aux deux dernières élections, communales-régionales de 2015 et législatives de 2011, voit son secrétaire général, Hamid Chabat, relégué aux derniers rangs des « premiers ministrables ».
Ce n’est pas là la seule incohérence, malheureusement, qui fait sourire les états-majors des partis politiques et les observateurs avisés.
Loin de moi l’idée de dévaloriser la position de Nabila Mounib, encore moins de démolir le travail d’une jeune entreprise, se présentant sous le nom d’«Institut Averty», spécialisée dans les sondages politiques et parrainée par Tizi. Seulement voilà, nous avons le devoir de donner le maximum d’informations à nos lecteurs.
Tizi est un réseau de jeunes cadres qui fait, depuis dix ans, la promotion du leadership et dont un seul «produit» a rejoint les rangs d’un parti politique, le PJD en l’occurrence. Créé et toujours piloté par Mohamed Berrada, promoteur immobilier, Tizi a toujours critiqué la persistance des «Zaïms» dans les formations politiques, sans se rendre compte qu’au fond ce réseau reproduit le même modèle (l’éternel patron, les coulisses, le personnel de vitrine…), avec un peu plus de « power point » et de gâteaux raffinés.
Sur les réseaux sociaux, Mohamed Berrada et son cercle proche ne cachent pas leur fascination pour Nabila Mounib et Omar Balafrej, ce qui n’aide pas à cautionner la position de « neutralité » annoncée par Tizi, et encore moins le parrainage d’un institut de sondages agissant sous l’emblème de « l’observatoire politique ».
Jusque-là, les partis politiques ont suivi Tizi avec une bienveillance nonchalante, une espèce de « pourquoi pas ? ». Depuis que ces sondages donnent systématiquement Benkirane au plus haut, depuis qu’ils sont repris par des médias sérieux au risque de devenir une source fiable, la récréation est en passe d’être sifflée, d’autant plus que le sondage politique obéit à une réglementation spécifique et à des autorisations spéciales. De quoi s’agit-il?
D’un questionnaire envoyé par Internet à une liste de personnes démarchées principalement dans l’entourage de Tizi, dans des écoles d’ingénieurs, et auxquelles s’ajoutent quelques candidats d’une autre «brand de Tizi». Un concours «d’espoirs de l’année» choisis selon des critères abstraits… En somme, rien de bien représentatif de la « population marocaine », comme le précisent les rédacteurs du sondage.
Le Maroc est composé de personnes connectées à Internet, d’autres qui ne le sont pas, de citoyens votants, d’autres qui s’abstiennent, de citoyens inscrits sur les listes électorales, d’autres qui ne le sont pas… Bref, la méthodologie ne précise pas le sexe, le lieu d’habitation, le niveau de revenu, les langues parlées, le niveau d’instruction, la situation de famille, l’activité professionnelle… En un mot, l’essentiel d’un échantillonnage respectable, pour ne pas dire précis. Ce sondage cible : « plus de 18 ans ». Encore heureux ! Au vu des résultats, le plus âgé doit avoir 30 ans, habiter au centre-ville, et regarder un peut trop I-télé et LCI… Sûrement déconnecté de la réalité profonde marocaine.
Ensuite, la taille de l’échantillon. A peine plus que 1000 personnes. C’est déjà bien, mais tout dépend de ceux qui composent ces 1000. D’autres sondages sur Internet, quand sont dépassés les freins mécaniques cités plus haut, réduisent la marge d’erreur par la taille de l’échantillon. Ce n’est qu’au bout d’un affinage de plusieurs années de l’échantillon qu’on peut se permettre un si petit nombre de personnes, de plus souvent contactées par téléphone ou questionnées en live.
Enfin, la nature de la question impacte la réponse. A la question de savoir « Qui voyez-vous comme meneur de jeu du Barça ? », n’importe quel sondé répondra Messi, car Messi est en place. Si vous changez la question : « Pour vous, quel est le meilleur meneur de jeu pour le Barça actuellement, en dehors de Messi », la réponse sera différente, évidemment.
L’autre rigueur méthodologique aurait voulu que l’on pose au moins la question deux fois, avec et sans Benkirane, actuel chef du gouvernement. Il aurait fallu également préciser si la notoriété est « spontanée » ou « assistée ». La mauvaise nouvelle pour ceux qui veulent croire en ses résultats et les diffuser en l’état, c’est qu’aucune autre personnalité au sein du PJD ne remonte!
Pire encore, Nabila Mounib, auréolée par ce sondage, mais assez sage pour ne pas y croire un seul instant, ne dispose pas de la machine électorale nécessaire pour atteindre cet objectif (ce qui aurait été, soit dit au passage, une excellente chose pour le Maroc !)
Enfin, au Maroc, c’est le chef de l’Etat qui nomme le chef du gouvernement parmi le parti arrivé premier aux résultats des élections législatives. Tizi Averty, observatoire de la politique, institut du leadership… pêche par son jeune âge, et en cela, il est pardonné. Mais tout de même, un peu de rigueur, Messieurs les ingénieurs, un peu de rigueur…