Culture

« Shakespeare El Bidaoui », un film sur l’amour au Maroc, en darija (entretien)

Comédien, metteur en scène, Ghassan El Hakim est à l’affiche du dernier film de Sonia Terrab, Shakespeare El Bidaoui (Shakespeare à Casablanca), premier épisode d’une série documentaire consacrée à l’amour, diffusée par 2M. Le public Casablancais l’a rencontré mardi 10 janvier 2017, à l’Institut Français, dans une adaptation théâtrale d’un roman de Mohammed Khaïr-Eddine. Il nous livre un entretien exclusif.

Propos recueillis par Olivier Rachet

Le Site info :  2M a diffusé dimanche 1er janvier le film documentaire de Sonia Terrab consacré à votre troupe théâtrale, JAA. On vous y voit diriger de jeunes comédiens s’apprêtant à interpréter une pièce de Shakespeare. Comment est né ce double projet théâtral et cinématographique ?

GH : Le projet du documentaire est né d’une rencontre en février 2016 avec Sonia Terrab (la réalisatrice) suite à un concert de Cheikh Ghassens à l’Institut Français de Casablanca. On s’était déjà croisés une fois à Paris quand je résidais là-bas, je la connaissais comme écrivaine.

Elle m’avait parlé d’une commande de 2M pour réaliser un film sur l’amour au Maroc. Sonia m’avait fait part de son désir d’aborder ce thème à Casablanca et de faire de la ville un personnage principal, présent tout au long de l’histoire et montré dans tous ses états. L’idée m’a beaucoup plu, surtout que c’est en Darija. Des sujets qui m’intéressent beaucoup dans ma recherche théâtrale.

misterLe Site Info : Votre choix s’est porté sur une comédie féérique du dramaturge anglais : Le Songe d’une nuit d’été, traduite pour l’occasion en darija. Les comédiens résument l’intrigue en mettant en avant la fuite des amants dont l’amour n’est pas accepté par leur famille respective. Pour quelles raisons avez-vous préféré cette pièce au drame de Roméo et Juliette ?

GH : J’ai toujours rêvé de travailler sur un texte de Shakespeare, certes Roméo et Juliette est la plus connue des tragédies abordant ce thème léger (selon les dires de l’auteur lui-même) mais Le Songe d’une nuit d’été correspondait plus à mes choix d’adaptation et de mise en scène. En effet, la plupart des scènes se jouent à l’extérieur et se passent pendant l’été, un cadre spatio- temporel idéal pour faire du théâtre au Maroc, vu le manque de salles réservées uniquement à cet Art. On avait toute la ville pour répéter et remplir les lieux de la parole poétique de Shakespeare.

Le Site Info :  Le documentaire vous voit arpenter, en compagnie de votre troupe, les rues de Casablanca, en période estivale. Les passants que vous interrogez au sujet de l’amour mettent souvent en avant le sentiment de frustration qui est le leur devant l’expression du désir amoureux. Une comédienne fait ainsi remarquer la richesse de la darija concernant un lexique des sentiments peu utilisé, quand il n’est pas méconnu. Que vous ont apporté ces rencontres improvisées avec les casablancais ?

GH : Les rencontres avec la population casablancaise furent enrichissantes, ça nous a permis de rester connecté à la réalité de la société et de ne pas trop nous éloigner de notre sujet premier : trouver un langage propre au marocain avec lequel ils expriment leur sentiment amoureux, et s’en servir pour perfectionner notre traduction. Nous avons découvert un public assoiffé de parole ; nous avons rarement été confrontés au refus et à l’indifférence, enfin, les fois où cela s’est produit nous avons su rebondir sans fléchir.

Le Site Info : Une séquence voit l’un des comédiens (Amine Nawny) dialoguer avec un chauffeur de taxi, insistant sur l’importance de la famille et des traditions. Il répond à l’une des questions qui lui est posée en affirmant que les mots d’amour viennent souvent de l’enfance et de la mère, ce que corroborent d’autres personnages du documentaire. Pensez-vous que les jeunes générations aspirent aussi à aimer en-dehors du cadre familial ?

GH : L’amour est une affaire personnelle, on ne peut pas aimer avec les yeux d’autrui, certes dans une société patriarcale, il est difficile de se libérer de l’emprise pratiquée par la famille, mais quand ce sentiment s’installe dans les cœurs des amants, rien ne peut le déloger, l’amour rend aveugle et sourd selon Ibn Hazm. Je ne sais pas si les jeunes générations sont conscientes de la force et du courage que peut leur procurer l’amour, le vrai en tout cas, mais je vois de plus en plus de jeunes couples qui se forment uniquement par la force de leur conviction et de leur volonté de vivre pleinement leur amour en dehors du cadre et des traditions familiales.

Le Site Info : La pièce a été jouée une première fois dans les jardins de l’église du Sacré-Cœur, à Casablanca. D’autres représentations sont-elles prévues ?

GH : La pièce a été pensée pour être jouée en plein air. En ce moment le JAA ( JoukAttamthil Al Bidaoui) a des propositions pour la présenter dans des salles, mais nous attendons le printemps pour nous porter conseil.

Le siteinfo : Vous étiez à l’affiche du théâtre 121 de l’Institut Français de Casablanca, le mardi 10 janvier, dans une mise en scène de Cédric Gourmelon, adaptant le roman de Mohamed Khaïr-Eddine, Le déterreur. Pouvez-vous nous présenter cette création qui sera jouée sur la scène du Tarmac, à Paris, en mars 2017 ?

GH : Il s’agit d’une adaptation du roman de Kheir-Eddine qui porte le même titre.
Le déterreur est une création qui reflète la pensée poétique du grand auteur longtemps marginalisé et oublié.
CedricGourmelon a réussi, pour moi, dans son adaptation du texte à dépeindre la vision de Kheir-Eddine, de son monde, très similaire au nôtre, avec une très grande simplicité et sans artifices, à la rendre plus accessible pour nous, petits êtres amnésiques.

Le siteinfo : Pour revenir au film de Sonia Terrab, celui-ci est ponctué par des séquences du Kabareh des Cheikhatsque vous proposez, en compagnie de votre troupe, au public casablancais, une fois par mois. En quoi consiste cette manifestation prisée déjà par un public fidèle à ce rendez- vous mensuel ?

GH : KabrehCheikhatsest avant tout un hommage à toute femme et tout homme qui a rêvé un jour de devenir Cheikha. C’est une façon d’exprimer notre féminité, nous, hommes affreux, orgueilleux, armés de notre faux machisme. C’est notre façon d’exprimer notre sensibilité et notre reconnaissance pour les Cheikhates, créatures sacrées d’un autre temps que nous n’avons pas connu. Les paroles des cheikhates sont un lourd héritage que nous devons, d’abord préserver, puis transmettre, à nos contemporains et aux générations qui nous succéderont. Le Kabareh c’est notre jardin secret où nous cultivons l’amour et surtout la JOIE.

O.R.

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