Enseignement au Maroc: de quelle gratuité parle-t-on?
par Fatiha Daoudi, Docteur en sciences politiques
A chaque fois que j’entends parler de gratuité de l’enseignement au Maroc, je suis perplexe car, si on parle du même pays, il me semble que l’enseignement n’y est plus gratuit depuis au moins une quarantaine d’années.
Ces derniers jours, la fin de la gratuité de l’enseignement est remise sur le tapis car ce n’est pas la première fois avec pour conséquence une levée de boucliers de tous bords: politiques, associatifs et syndicaux. Haro sur l’atteinte à ce droit sacré: le droit à l’enseignement gratuit !
Pourtant, un simple coup d’œil autour de nous permet de voir que la gratuité de l’enseignement au Maroc est un leurre. A commencer par les garderies et les écoles maternelles. Pour avoir droit à leurs services, les parents doivent payer. Nous savons tous que les riches n’ont pas l’exclusivité de la procréation, loin s’en faut. Ainsi, les pauvres et la classe moyenne paient pour la garde et l’éveil de leur progéniture, l’Etat ayant déserté ce domaine.
Qu’en est-il du droit à un enseignement obligatoire et gratuit de l’âge de 6 ans jusqu’à 15 ans? Fatigués de voir leurs enfants être les cobayes des différentes réformes plus démagogiques que pédagogiques, les parents, toutes classes confondues, optent pour un enseignement privé qui n’est pas forcément meilleur faute de contrôle sérieux. Hormis dans les campagnes, ils paient l’école primaire et le collège de leurs enfants. Même les plus démunis se saignent pour cela.
Il serait certainement intéressant d’interroger le Haut Commissariat au Plan sur le nombre de familles qui envoient leurs enfants dans les écoles et les collèges privés. Peut-on encore parler de gratuité de l’enseignement obligatoire?
Quant aux lycées publics, ils demeurent le refuge des parents qui n’ont pas les moyens de payer l’onéreuse facture de la scolarité du secteur privé. Ils sont aussi le dernier recours des parents qui n’ont pas pu franchir la citadelle que forment les missions étrangères, au pied desquelles ils étaient prêts à laisser piétiner leur dignité. Ces parents se trouvent, alors, confrontés à l’absentéisme des enseignants et à la dictature des cours particuliers.
L’enseignement supérieur est certes encore gratuit mais à quel prix si j’ose dire? En son état actuel, il est exsangue à cause de l’hémorragie provoquée par la vague de départs volontaires, décision pour le moins irresponsable. Et phénomène des temps modernes, le «copier-coller» fait des ravages dans les universités. Ces dernières sont aussi à leur tour confrontées à l’absentéisme des enseignants qui préfèrent consacrer leur temps aux expertises «sonnantes et trébuchantes» qu’aux cours pour lesquels ils sont pourtant rémunérés.
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S’inscrire en doctorat est, à son tour, un parcours du combattant tant il est difficile passer à travers le tamis d’une école doctorale absolument souveraine qui fait de l’inscription presque une fin en soi et place au second rang l’aptitude à mener à bien une recherche scientifique. Cette école doctorale est une véritable entrave au développement de la recherche dans notre pays.
Donc gratuit, l’enseignement supérieur au Maroc est en état de décomposition avancée finissant de déformer les bacheliers qui y arrivent ne possédant ni l’arabe ni le français. Il en fait des personnes inaptes à s’adapter à la vie active moderne.
Rendre l’enseignement au Maroc payant serait-il pour autant la solution adéquate pour l’améliorer? Imposer des frais de scolarité pourrait peut-être aider à construire de nouveaux locaux ou à entretenir les anciens mais pourrait-il améliorer la qualité de l’enseignement ? Clairement non. Ne peuvent l’améliorer qu’une sérieuse évaluation des enseignants, l’encouragement, la valorisation et la promotion des meilleurs ainsi que la pénalisation de ceux qui ne respectent pas leur contrat, avec la publication de l’ensemble des résultats.
La reddition des comptes devrait aussi viser les administratifs qui se cachent souvent derrière leur statut de fonctionnaire qu’ils pensent les exempter de toute obligation.
Le civisme et la discipline devraient retrouver un droit de cité dans les différents établissements scolaires et universitaires afin de faire des élèves et des étudiants, des citoyens responsables.
Imposer uniquement des frais de scolarité dans l’enseignement n’améliorera en aucune manière cet enseignement. On ne saurait assez dire que les frais de scolarité existent déjà, qu’ils sont imposés aux parents depuis les garderies ce qui ne les rend pas garants de qualité.