Entretien avec Othman Ktiri, l’entrepreneur marocain qui a réussi en Espagne
Né à Palma de Majorque, le groupe Ok Cars Mobility, fondé et dirigé par le Marocain Othman Ktiri, est un spécialiste de la mobilité urbaine qui offre des solutions innovantes de location ou de vente de véhicules. L’entreprise, considérée comme une success-story dans sa région, compte s’implanter prochainement au Maroc.
Vous êtes ingénieur agronome de formation. Comment avez-vous atterri dans le secteur de l’automobile et dans l’entrepreneuriat en général ?
À priori, il n’y a aucun lien logique entre ma formation académique et mon parcours professionnel. J’ai atterri à Palma de Majorque pour effectuer des stages en relation avec mes études. Dans cette île, j’ai travaillé pour des enseignes de la grande distribution, française comme espagnole. J’ai ensuite négocié un léger virage pour m’initier au volet commercial en intégrant un groupe français d’automobile. C’est auprès de ce constructeur automobile de renom que j’ai découvert ma passion pour l’univers des quatre roues et ma vocation entrepreneuriale. Une sorte de révélation, en quelque sorte. Après deux ans au sein de cette entreprise, j’ai décidé de me lancer dans le monde entrepreneurial et de vivre ma propre aventure. C’est ainsi que j’ai intégré le business de l’automobile.
Et c’est sur un territoire insulaire, donc limité sur le plan géographique, que vous avez lancé un business en relation avec l’automobile et la mobilité. Curieux comme choix, non ?
Effectivement, c’est paradoxal car le schéma classique aurait voulu que j’évolue professionnellement dans l’un de mes deux pays, à savoir le Maroc ou la France. Or, j’ai coûté de l’argent à mes deux pays, et c’est l’Espagne qui récolte les fruits de ma formation et de mon expérience. Palma de Majorque est une ville balnéaire et une destination touristique privilégiée.
Comment cette vocation entrepreneuriale a-t-elle vu le jour ?
Je crois que c’était un cheminement naturel, compte tenu de mes origines et de mon entourage familial. Ma mère gère une pharmacie à Casablanca et mon père est entrepreneur. L’entrepreneuriat est une affaire de famille chez nous. J’étais aussi motivé par ce besoin de créer et d’apporter une valeur ajoutée à des secteurs qui sont a priori saturés. Toutefois, grâce à mon expérience, j’ai démontré que j’étais capable d’innover et relever le challenge même dans une activité telle que la distribution automobile et la location de voitures, que l’on considère comme saturée. Ok Cars a pu se faire une place et décrocher une part de marché assez importante. Il s’agit d’un travail de longue haleine, que je mène depuis quinze ans, qui demande logique, cohérence mais aussi une bonne dose d’improvisation.
Quelle était votre expérience à vos débuts ?
Je me souviens que, lorsque j’ai démarré mon business, j’étais seul dans un minuscule bureau ; au fil des ans, l’entreprise s’est naturellement agrandie, sans jamais mettre la charrue avant les bœufs et sans faire appel au financement des banques, du moins au début. J’ai adopté un business model qui me permettait de ne pas faire appel au financement des établissements bancaires, misant plutôt sur la capacité financière des clients et des fournisseurs. Comme j’étais un «trader de véhicules», l’activité en elle-même me permettait de me passer du cash et d’encaisser ma commission une fois la transaction conclue. En 2010, quand j’ai décidé de me lancer dans la location de voitures, il était primordial de faire appel à un financement des banques et de solliciter un prêt. Je dis toujours aux entrepreneurs en herbe que j’ai commencé avec zéro euro, mais nous avons tendance à oublier qu’une bonne formation et un parcours éducatif de qualité sont des atouts qui font pencher la balance en notre faveur et, sur ce point, je m’estime chanceux.
Fait-il bon entreprendre en Espagne ?
En Espagne, on distingue deux types d’hommes d’affaires. Il y a «el emprendedor», celui qui entreprend, innove, prend le risque et met au point un produit ou service inédit d’une manière ou d’autre, à ses risques et périls. L’autre terme désigne «el empresario», qui est un chef d’entreprise. En général, la politique économique est favorable aux porteurs de projets et aux entrepreneurs. Il existe des organismes semi-publics dont la mission principale est d’épauler les entités entrepreneuriales pour trouver des débouchés à l’international, la formation, etc. Après, nous n’avons aucun soutien financier direct, ni même de politique fiscale favorable. Mais le climat est propice à l’entrepreneuriat, et j’en suis aujourd’hui au stade de la reconnaissance, après avoir connu une longue période de doutes, de critiques désobligeantes voire de rumeurs malsaines.
Cars Mobility est aussi une entreprise qui s’inspire des pratiques entrepreneuriales de la Silicon Valley…
Nous sommes une entité comptant 700 collaborateurs et leur bien-être fait partie des préoccupations du management. Nous estimons que les employés passent un temps considérable sur leur lieu de travail, il est donc primordial que cet espace soit accueillant et chaleureux. D’une manière ou d’une autre, nous proposons des classes de yoga au profit des collaborateurs du groupe et nous fournissons des recommandations sur la nutrition et les régimes alimentaires sains. De même, nous avons mis en place une politique horaire flexible afin que les salariés puissent concilier vie professionnelle et personnelle. Sur un autre registre, nous avons créé la fondation Ok Cars, qui mène des actions auprès de la communauté locale. Son objectif est de contribuer à l’amélioration du quotidien des personnes défavorisées dans notre communauté et d’être solidaires à travers la participation à de nombreux projets sociaux, bénéfiques pour la société au sein de laquelle nous évoluons. Enfin, nous avons relevé le pari de la mobilité propre et espérons introduire davantage de véhicules électriques dans notre flotte afin de contribuer au respect de notre environnement.
Vous êtes présents en Espagne et au Portugal. À quand le Maroc ?
Je suis très sollicité par des opérateurs marocains afin que le groupe s’installe au Maroc. Et là, je tiens à relever un point important. Contrairement à l’administration espagnole, laquelle, en termes d’appui à l’entrepreneuriat, est en quelque sorte assez neutre, l’administration marocaine est très active et je tiens à la féliciter pour son dynamisme et sa politique encourageante en matière de capitaux étrangers. Notre plan d’extension prévoit des implantations dans le pourtour méditerranéen. Notre présence se fera par le biais de deux modèles, à savoir une présence du groupe ou une franchise. C’est cette dernière formule que nous avons choisie pour le Maroc. Nous estimons être en mesure de proposer un service inédit puisque nous avons atteint un seuil de synergie entre la location et la vente qui nous permet d’être compétitifs. De plus, nous élargissons la gamme de voitures proposées au Maroc, à travers une diversité dans la flotte et des véhicules premium, outre des technologies et applications qui rendent la conduite plus agréable.
Amal Baba Ali, DNES à Séville / Les Inspirations Éco