Maroc

Comment se préparer à l’après confinement ? Jalil Bennani répond (Entretien)

Par LeSiteinfo avec MAP

Voici cinq questions au psychanalyste et écrivain marocain Jalil Bennani, au sujet des différents défis d’ordre psychologique auxquels la plupart des Marocains font face pendant le mois béni du Ramadan, qui coïncide cette année avec une conjoncture particulière marquée par le confinement sanitaire, imposé par la pandémie du nouveau coronavirus qui fait un ravage dans le monde entier.

1. Cette année, le Ramadan d’ordinaire synonyme de prières collectives et de rassemblements, a commencé sous le signe du confinement. Pourriez-vous nous faire part de l’impact psychologique de cette situation sur la société marocaine ?

Dans leur grande majorité, les Marocains se sont préparés à cette situation. La privation des rassemblements religieux durant le Ramadan, situation totalement inédite, s’est inscrite dans la continuité de la fermeture des mosquées qui s’est opérée dès le début du confinement. Sur le plan psychologique, l’incertitude, la peur de la maladie, la prise de conscience du danger mortel ont réveillé les pulsions de vie et poussé les citoyens vers la nécessité primordiale de se protéger. Les situations diffèrent selon les familles, les milieux sociaux et la personnalité de chacun. La brutalité de la survenue de l’épidémie a mis les plus sensibles dans un état de stupeur et de frayeur caractéristique des états de stress post traumatique. De nombreux croyants considèrent ce confinement comme une opportunité pour vivre pleinement la pratique religieuse en suivant scrupuleusement les préceptes du Coran et des hadiths sans avoir besoin de se réunir. D’autres le vivent au contraire comme une privation de l’ambiance collective, soulignent leur besoin de présence du groupe et se consolent en considérant cette situation comme étant une parenthèse dans l’histoire. Et il y a bien sûr ceux qui ne participaient pas dans le passé aux prières collectives et qui ne sont préoccupés que par le confinement lui-même.

2. D’habitude, les gens se retrouvent le soir pour rompre le jeûne et partager des moments de bonheur, mais cette année c’est impossible. Quel effet cela aura-t-il sur le moral des personnes qui passent leur confinement en solitaire ?

Le bonheur n’est pas le même pour tous. Habituellement, les sorties en famille ou avec des amis permettent de se retrouver, renouveler les liens sociaux, entreprendre des affaires dans les lieux publics. Certains ont décidé de passer le Ramadan en famille, en raison du couvre-feu qui ne leur permet pas de regagner leur domicile après le ftour. Ils peuvent ainsi entourer leurs parents âgés et dépendants. Pour ceux qui ne supportent pas l’enfermement et qui vivent seuls, la situation est insupportable et l’attente très longue. Pour les jeunes habitués à sortir pour se détendre, fêter, fumer ou faire des rencontres, le confinement en milieu familial peut être source de tensions et de conflits. À partir de l’adolescence, âge de transition vers l’âge adulte, les jeunes manifestent un désir d’affirmation, d’autonomie et de liberté, chose quasi-impossible durant cette période. Il faut aussi mentionner les risques de sevrage pour ceux qui sont dépendants à des drogues. Tout ce qui se vit en dehors de la famille pourra très difficilement échapper au regard des parents.

3. Quelles solutions recommanderiez-vous pour atténuer les conséquences psychologiques liées à cette situation pendant le Ramadan ?

Concernant le volet psychologique, cette épidémie a révélé la personnalité des individus, leur niveau éducatif, leur maturité, leur force ou leur fragilité. Elle a amplifié ce qui existait déjà ou fait apparaître ce qui était latent. Ceux qui vivaient le ramadan sans problème gardent une sérénité pendant cette période. Ceux qui manifestaient une anxiété, une révolte ou des colères peuvent même voir leurs symptômes augmenter et s’exprimer à grand bruit par différentes manifestations : troubles psychosomatiques, multiplication des examens médicaux, insomnies, disputes familiales, tentatives de suicide… Dans les meilleurs cas, si les symptômes restent contenus, ils peuvent réapparaître plus tard. Face à ces risques, les conduites préventives consistent à ne pas entrer en conflit les uns les autres, à respecter autant que possible les temps et espaces de liberté de chacun, à faire une pause dans les décisions personnelles et ne pas hésiter à demander conseil auprès des professionnels de la santé.

4. Que conseillez-vous aux personnes déjà accompagnées par un professionnel et qui souffrent de perturbations psychiques ?

Il est impératif que les personnes souffrant de troubles psychiques gardent un contact proche avec leur thérapeute. La plupart cherchent une réassurance afin de ne pas interrompre le lien. Fort heureusement, les moyens technologiques permettent de faire des consultations à distance, d’être à l’écoute des angoisses, des insomnies et des peurs de la contamination par le virus. Il ne faut donc pas attendre de « craquer » sous le coup des émotions, des angoisses, des états de dépression pour demander une aide. Il ne faut pas hésiter à demander des informations et des conseils qui seront d’autant plus appropriés que les thérapeutes connaissent leurs patients.

5. Comment se préparer dès à présent à l’après confinement ?

L’annonce d’échéances est toujours source de soulagement. L’incertitude déclenche les peurs, les désarrois, les angoisses et les dépressions. Les êtres humains ont besoin d’entrevoir un horizon. Ne plus dire « avant » mais « après ». Il faut imaginer des perspectives, des projets, mettre en application les décisions envisagées pendant la période de confinement. Le psychisme possède de grandes facultés d’adaptation mais le temps du changement des mentalités est un temps long. L’acceptation intellectuelle ne suffit pas, il faut le temps d’intégration des idées nouvelles pour que les changements puissent s’installer et perdurer. Il faudra tirer tous les enseignements possibles de cette crise, sur les plans de la santé, de l’écologie, des systèmes économiques et de la nature des épidémies. Prendre conscience du passé permet de mieux appréhender l’avenir.

S.L. (avec MAP)


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