Le début de la fin pour Nabil Benabdallah ?
Par Taoufik Jdidi
Rarement on aura entendu ou lu un communiqué du cabinet royal dénonçant des propos d’un dirigeant politique. En tout cas, c’est la première fois sous le règne de Mohammed VI que son entourage monte au créneau pour recadrer un leader d’un parti politique. Cela s’est passé avec Nabil Benabdallah, le secrétaire général du parti du progrès et du socialisme (PPS) et ministre de l’habitat du gouvernement de Benkirane.
La cause ? Des propos tenus par l’intéressé faisant allusion au rôle joué par Fouad Ali El Himma, le conseiller du roi, dans la création du parti de l’authenticité et de la modernité (PAM). Benabdallah, dans une interview à l’hebdomadaire Al-Ayyam, a insisté sur plusieurs questions politiques de l’heure et, inévitablement, il devait s’exprimer au sujet du parti d’Ilyas El Omary qu’il a qualifié, conjointement avec le leader du PJD, comme l’outil de la mainmise sur les affaires publiques (tahakkoum). Benabdallah a même désigné la nature des problèmes avec ce parti, en précisant qu’il était contre l’idée même de sa création et contre l’initiative de ses créateurs.
Ceci est la version corrigée, après la publication d’un erratum. Mais la phrase parue et lue à grande échelle désignait le créateur du PAM, Fouad Ali El Himma, qui serait le symbole même de ce tahakkoum, tant décrié ces derniers temps par Benkirane, avant d’être imité par Benabdallah, dans un élan de solidarité et d’affirmation de la concordance des analyses faites de l’échiquier politique marocain par les deux leaders.
Cette petite phrase a été considérée comme de trop par l’entourage royal qui estime que Benabdallah a franchi un pas dans la mauvaise direction en insinuant que El Himma serait encore impliqué dans la vie partisane et qu’il tirerait les ficelles du PAM. Par conséquent, le communiqué du cabinet royal a été sans équivoque au sujet du rôle joué par les conseillers du roi qui accomplissent leurs fonctions exclusivement sous les hautes directives du souverain qui leur a tracé des règles de conduite strictes.
La lecture du communiqué révèle que ses auteurs ont préféré préciser que leurs critiques s’adressaient exclusivement à la personne de Nabil Benabdallah et ne s’étendaient pas à son parti qui s’est distingué, selon eux, par son rôle historique et son militantisme en faveur de la démocratie et des intérêts supérieurs du Maroc. Cette précision tend à présenter les prises de position de Benabdallah comme des initiatives personnelles qui ne reflètent nullement l’opinion des militants de ce parti.
Il y a, en effet, une grande part de vérité dans cette évaluation, puisque nombreux sont les vrais militants, et pas les adhérents de dernière minute, qui ne partagent pas les avis de leur secrétaire général. Certains sont allés jusqu’à démissionner du parti ou ont gelé leurs activités à cause de l’alliance contre-nature avec le PJD décrétée par Benabdallah et quelques-uns de ses proches.
Beaucoup ont considéré que le secrétaire général du PPS ne cherchait qu’à assurer des places ou des strapontins au gouvernement, quitte à habiller son choix de justificatifs aussi farfelus qu’irraisonnés. En effet, les observateurs ont appris que, paradoxalement, cette alliance n’est pas idéologique, mais seulement politique ! Et comme si cela ne suffisait pas, Benabdallah est devenu, comme l’ont qualifié les médias, une sorte de porte-parole non officiel du PJD.
Cette évaluation n’est pas tout à fait inexacte puisqu’il ne rate pas l’occasion de répéter après Benkirane des prises de position qui n’ont jamais été décidées par les instances du parti. Cette histoire de tahakkoum en est l’illustration parfaite. Benabdallah n’en parlait pas, il y a quelques mois, mais subitement, il a commencé à en meubler ses sorties médiatiques. La seule différence avec Benkirane réside uniquement dans le fait qu’il n’a pas revendiqué la dissolution du PAM.
Mais, il a apparemment prononcé la phrase de trop qui lui a valu ce communiqué unique dans les annales de l’Etat marocain. Or, il aurait pu éviter cette polémique en s’en tenant à ce qui est usité dans la vie politique marocaine, c’est-à-dire à critiquer telle ou telle disposition du programme du PAM, telle ou telle position exprimée au parlement ou ailleurs. Au lieu de cela, il a choisi de suivre Benkirane sur un terrain miné et glissant.
Selon les dernières informations reçues à ce sujet, Abdelilah Benkirane a accordé une déclaration à un site de la place, où il dit notamment, qu’il a toujours considéré que Nabil Benabdallah était fidèle à son roi sans limites. Benabdallah a annulé un voyage qui devait le conduire à Paris, apparemment pour réunir son bureau politique et discuter de cette affaire. Mais d’ores et déjà, des membres du BP ont déclaré que les déclarations de Benabdallah reflétaient les positions de tous les membres du parti!
En tout cas, le secrétaire général du PPS est dans un réel pétrin, puisqu’il devrait convaincre plusieurs membres de la direction, y compris du Comité central, de la justesse et de la véracité de ses propos. Ce qui est extrêmement difficile, sinon impossible.