Politique et religion: l’inéluctable séparation (analyse)
Par Taoufik Jdidi
Il y a quelques semaines, le ministre des Habous et des Affaires islamiques, Ahmed Taoufiq a adressé des correspondances à tous les responsables régionaux du ministère, dans lesquelles il met en garde contre l’utilisation des lieux de culte pour faire la propagande au profit de tel ou tel parti politique. Des sanctions sévères sont prévues en cas de violation de cette directive.
Cette démarche soulève la problématique globale de l’utilisation de la religion à des fins politiques. En effet, cette pratique s’est répandue ces dernières décennies et a gagné en ampleur au fil du temps. Avec comme apothéose, la campagne pernicieuse que l’islamisme politique avait menée contre le plan d’intégration de la femme dans le développement.
A l’époque, les leaders et les militants islamistes ont été unanimes à déclarer la guerre sainte contre cette initiative, qui, selon eux, visait à nuire à l’Islam. Les initiateurs de ce projet ont été taxés d’infidèles, d’athées et d’ennemis de Dieu et de son prophète. Cette rhétorique n’était d’ailleurs pas éloignée de celle qu’affectionnaient les militants de la Chabiba Islamiya dans les années soixante dix qui avaient été créés par le pouvoir, dans le but de contrecarrer les idées de la gauche marxiste et réformiste. Celle-ci était, à leurs yeux, la source du mal et l’origine de tous les malheurs qui frappent la nation.
Après avoir épuisé leurs réserves idéologiques contre la gauche, les islamistes ont découvert subitement que ceux qui les avaient créés n’étaient pas auréolés de la sainteté qu’ils croyaient. Ils ont alors changé de fusil d’épaule et commençaient à cibler le pouvoir du Roi, qui selon eux, se servait uniquement de l’Islam pour « endormir le peuple » et protéger ses intérêts et ceux des classes qui le soutiennent.
Pour eux, le Roi n’appliquait pas les préceptes de l’Islam, qui répondraient à toutes les problématiques socio-économiques, politiques et culturelles qui se posaient au pays. D’où le célèbre slogan de l’époque « L’islam est la solution » (Al Islam Houa Al Hall).
Le pays était occupé à lutter contre les ennemis de l’intégrité territoriale et à défendre ses frontières des assauts des séparatistes et de l’armée algérienne, alors que les islamistes approfondissaient leur réflexion sur les moyens d’appliquer l’Islam juste pour faire « sortir la Oumma des ténèbres vers la lumière ». Leur unique but, toutes tendances confondues, est de bâtir l’Etat de la Khilafa selon le legs du prophète.
Sur le plan économique surgit la théorie de la troisième voie qui écarte le capitalisme et le socialisme. Les Islamistes marocains étaient devenus très enthousiastes à cette théorie pensée et réfléchie par des économistes pakistanais dans le sillage des enseignements de Abdelwahhab El Moudoudi, reprise par les Egyptiens Hassan El Benna et Sayyed Qotb.
Mais, aujourd’hui, il semble que ces épisodes font, désormais, partie de l’histoire pour cette mouvance militante. Certaines déclarations de Abdelilah Benkirane, laissent penser que beaucoup de révisions ont été opérées sur ce registre. En effet, Benkirane avait conseillé, lors de l’une de ses séances d’encadrement de la jeunesse de son mouvement, aux militants de ne plus brandir le slogan « L’Islam est la solution », car, disait-il « si notre mouvement n’arrive pas à régler les grandes questions économiques et sociales, alors nous penserons que c’est l’Islam qui est incapable de les résoudre ».
D’ailleurs, la pensée islamiste affiche des tendances qui laissent penser qu’une évolution dans le sens d’éloigner la religion de la politique est en train de s’opérer au Maroc. Ainsi, en 2015, Saâd Eddine Othmani avait insinué, sans vraiment, le dire clairement que les champs de la politique et de la religion sont antinomiques. Ses propos, même prononcés avec beaucoup de réserve, ont surpris les militants du PJD, qui ne s’attendaient pas à un tel discours de la part d’un leader.
Certains n’y ont vu que des propos personnels, qui n’engagent en rien le parti. D’autres y ont décelé l’ébauche d’une métamorphose. En tout cas, le débat à ce sujet s’est étendu à certains penseurs salafistes, tels Abdelouahhab Rafiqi, dit Abou Hafs, qui a appelé clairement à libérer la religion de la politique parce que selon lui, l’islamisme mène directement au despotisme. D’ailleurs, dans le cadre des révisions idéologiques, que cet ancien détenu a opérées, il intégra le jeu politique en devenant vice-président du parti de la renaissance et de la vertu.
Ces exemples n’augurent pas un changement radical au niveau de la pensée islamiste au Maroc. En effet, si le PJD est appelé à suivre fatalement l’exemple d’Annahda de Tunisie, qui lors, de son dernier congrès a rompu tout lien entre l’action religieuse et l’action politique, l’organisation d’Al Adl Wal Ihsane (Justice et bienfaisance) demeure cloîtrée dans son dogmatisme. Et ce n’est pas pour bientôt que cette organisation suivra le mouvement de la nette distinction des objectifs politiques et des préceptes religieux.
Cependant, une réflexion est bonne à entreprendre sur le chemin parcouru par le parti de l’Istiqlal. Cette formation politique avait durant le protectorat brandi l’Islam comme arme de guerre contre les autorités du protectorat. D’ailleurs, ceux qui y adhéraient, dans le temps, juraient sur le Coran, de rester fidèles à ses principes et à son leader Allal El Fassi. Et les actions de propagande étaient menées dans les mosquées. Après l’indépendance, ces méthodes ont été dépassés et le parti s’est dirigé vers l’action politique pure, sans y associer l’élément religieux.
Que faut-il penser aujourd’hui de ce parti, si ce n’est un rassemblement d’une grande bourgeoisie urbaine et rurale qui a largement bénéficié des richesses du pays?
Certains exemples récents démontrent que la religion n’est qu’un fonds de commerce et un tremplin vers des positions sociales avancées. Les informations qui circulent dans les médias sur les agissements de nombre d’élus, conseillers, présidents d’arrondissements et même présidents de région affiliés au PJD, ne laissent aucun doute sur leurs visées à court et à moyen termes.
Confronté à la gestion quotidienne des affaires de l’Etat et des collectivités, les Islamistes se rendent compte, de plus en plus, que ce n’est pas l’Islam qui va résoudre les problèmes du chômage, de la qualité de l’enseignement, de la croissance économique, de la santé etc…
Ce ne sont pas des propos moralisateurs ou les critiques adressées à Jeniffer Lopez, à Mawazine et autres festivals qui vont développer le Maroc.