Chroniques

Lettre ouverte à Michelle Obama

Madame,

Les images de votre réception que j’ai vues hier à la télévision m’ont décidé à vous écrire cette lettre. Les jeunes filles qui vous entouraient lors de cet évènement paraissaient toutes belles, épanouies et elles vous ont, apparemment, raconté des histoires merveilleuses, en anglais ! That’s so sweet ! Mais, hélas, elles ne représentent pas toute la réalité. Un autre pan de la réalité vous sera peut-être caché. Je vous raconte donc une histoire authentique.

Elle s’appelle Najat B. Aujourd’hui, à 17 ans, enfant elle-même, elle est déjà femme au foyer et mère de deux enfants, une fille et un garçon. Ce dernier, âgé de 18 mois, souffre de graves problèmes de santé. Faute de soins, il risque de mourir à chaque instant. La petite Najat, qui n’a même pas joui pleinement de sa propre enfance, se voit déjà contrainte de faire le deuil d’une vie qu’elle ne vivra probablement jamais comme elle la voulait et de l’éventuel deuil de son fils, s’il décède prématurément.

Najat voulait être heureuse. Je l’ai connue à l’école primaire où j’enseigne. Elle a été mon élève pendant trois années. Jolie, intelligente, dynamique et pleine d’espoir enfantin. Cet espoir blanc et doux qui effleure les esprits de tous les enfants du monde. Elle était une élève exemplaire et elle avait l’espoir de continuer ses études pour devenir enseignante, me disait-elle. Mais elle a été forcée de quitter l’école prématurément, ce seul chemin de salut possible pour elle et pour des milliers d’autres filles qui lui ressemblent. La pauvreté, l’éloignement du collège de son village et surtout l’autorité patriarcale de la société l’ont obligée à abandonner son rêve.

Peu de temps après, elle a dû subir une seconde contrainte : se marier à un enfant plus âgé qu’elle de deux ans. Son mari, berger à plein temps, n’est jamais allé à l’école. Un couple typique d’une société qui engendre l’ignorance.

Madame,

Ce que subit Najat aujourd’hui est la destinée de beaucoup d’autres filles. La pression des coutumes, des habitudes et de la «h’chouma». Dans cette pauvre région rurale, je me souviens d’elle venant à l’école, en pantalon et la tête découverte, libre, sans voile, une sorte de révolution dans ces lieux. J’entendis, une fois, deux garçons, futurs adultes, lui reprocher sa tenue vestimentaire de «débauchée». Ils lui criaient : «Siri tssatri ! Couvre-toi !» ou «Que fais-tu ici à l’école ?». Les filles n’ont pas droit à l’éducation ! Les filles doivent rester à la maison !

Madame,

Ce que j’essaie, enfin, de vous dire dans cette lettre, c’est que si les filles ne vont pas à l’école, ce n’est pas seulement à cause du manque d’argent, de matériel didactique ou pédagogique… Elles n’y vont pas, surtout parce que notre société ne leur permet pas encore d’y aller !

Aujourd’hui encore, et six ans après qu’elle a quitté l’école, j’aperçois Najat qui regarde depuis sa petite fenêtre et souhaite que sa petite fille ait un avenir meilleur.

Respectueusement

Mohammed Bougdim, enseignant


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