Jean Zaganiaris, cet amoureux de la littérature marocaine
Membre fondateur du Cercle de Littérature Contemporaine, Jean Zaganiaris enseigne à l’École de Gouvernance et d’Économie de Rabat. Sociologue de formation, il porte un regard neuf et décalé sur la littérature marocaine.
Par Olivier Rachet
Parlez-moi de Littérature, sous-titré « Un autre regard sur le champ littéraire marocain », regroupe un ensemble de chroniques que le chercheur consacre, essentiellement, à la littérature contemporaine marocaine. Autant de partis pris qui disent la passion d’un spécialiste de théorie politique pour la lecture de romans dont il met toujours en avant le caractère divertissant et récréatif. L’auteur s’enthousiasme pour une littérature en plein devenir dont la vitalité le ravit.
Le monde appartient aux femmes
Première constatation : le champ littéraire marocain, tel que Jean Zaganiaris le dessine, est dominé par les plumes féminines. De Lamia Berrada-Berca, auteure de Kant et la petite robe rouge, en passant par Bahaa Trabelsi, Valérie Morales-Attias, Maï-Do Hamisultane, Fatima Mernissi ou Maria Guessous, on ne compte plus les femmes qui investissent l’écriture pour explorer à la fois les questions du désir féminin et les barrières socio-culturelles auxquelles celui-ci s’affronte. Auteur d’un essai intitulé Queer Maroc consacré aux questions des sexualités, des genres et des (trans)identités dans la littérature marocaine, Jean Zaganiaris privilégie les ouvrages – romans ou essais – qui s’affranchissent des tabous et des non-dits d’une société réputée conservatrice pour interroger la complexité d’un réel toujours en devenir. De très belles pages sont ainsi consacrées au recueil de nouvelles de Bahaa Trabelsi, auquel le titre du livre fait d’ailleurs implicitement référence, Parlez-moi d’amour, dans lequel la question de l’homosexualité féminine est abordée sans détour ; l’auteur se plaisant à souligner « la vulnérabilité des corps lesbiens, obligés de rester dans le silence et la clandestinité, objet érotique au sein d’une société hétéronormée et patriarcale dont on sent l’impact chez Trabelsi. » On pourra parfois faire grief au chroniqueur de privilégier les questions sociologiques au détriment du travail même de l’écriture ; les pages laudatives qu’il réserve à Leïla Slimani laissant dans l’ombre la pauvreté stylistique d’une écriture romanesque pourtant récompensée par un prix Goncourt, bien discutable.
Les blessures du social
« La littérature est la preuve que la vie ne suffit pas » écrivait le romancier et poète portugais Fernando Pessoa. La littérature est la preuve, semble renchérir l’essayiste, que les sciences humaines ne suffisent pas à elles seules à rendre compte de la vulnérabilité des vies qui sont les nôtres et des contradictions qui les traversent. Dans les chroniques qui sont les siennes, Zaganiaris privilégie souvent les détails les plus anodins. Les titres mêmes des textes, souvent parodiques, expriment ce qu’il y a d’indicible, dans les blessures les plus intimes : « Cette vie qui nous consume », « De battre mon cœur s’est arrêté », « La vie n’est pas ailleurs », « Je t’aime Mélancolie », « Le Printemps arabe, un opéra fabuleux ? », « Lorsque la mort vient caresser la vie ».
Dès lors, il n’est guère étonnant que l’auteur s’intéresse, à plusieurs reprises, à l’un des sujets les plus tabous et les moins représentés de la littérature contemporaine : celui du handicap. Les chroniques consacrées aux ouvrages de Badreddine Aitlekhoui, Momo, je m’appelle. Autiste je suis… ; de Jamal Berraoui, Yasmine, 19 ans, trisomique, bachelière ou de Fatima Lemrini El Ouahabi et Mohamed Hamadi Bekouchi, Le Maroc des handicapés, entre souffrances et aspirations, rappellent qu’avant d’être un génie du style, un écrivain se distingue tout d’abord par l’empathie qui est la sienne à l’égard de ses compatriotes privés du pouvoir de verbaliser la souffrance et de la sublimer. La richesse de la littérature, écrit justement l’auteur, « est avant tout d’être inclusive ».
Des affinités électives
Parlez-moi de Littérature n’aurait peut-être jamais été écrit sans le compagnonnage qui est celui de l’auteur avec les autres membres fondateurs du Cercle de Littérature Contemporaine : Mamoun Lahbabi et Abdellah Baïda dont plusieurs romans sont passés au crible. Les éditions Marsam avaient d’ailleurs publié un ouvrage retentissant, Voix d’auteurs au Maroc, coordonné par les trois acolytes, dans lequel une trentaine d’auteurs contemporains marocains revenaient sur leurs pratiques d’écriture. Il semblerait que la Littérature marocaine ne se soit jamais aussi bien portée, qu’attendez-vous donc pour en approfondir votre connaissance ? Les librairies n’ont jamais été aussi nombreuses !
O.R.
Jean Zaganiaris, Parlez-moi de Littérature … Un autre regard sur le champ littéraire marocain, éditions Marsam.